Marina Tsvetaieva

«Si l'ame est nee avec des ailes...»

Ce sera ainsi

Enfant tranquille, dorloteґ par les teґne`bres, Une langueur infinie dans un regard perdu, Tu es la` immobile devant la fene ? tre. Un pas Rapide, dans le corridor — ce n’est pas le mien! La porte s’ouvre... Un courant d’air glacial... Une odeur: la fra?cheur, le bonheur... Finies les angoisses... Puis un instant de silence et quelqu’un, doucement, Rit, sur le seuil de la porte — ce n’est pas moi! Le tramway, son ombre, comme jadis, court sur le mur, L’orchestre, en bas, se fait plus calme, plus sourd... Emu, tu chuchotes: — Que nos a ?mes s’unissent En silence! — ce n’est pas avec moi! Que de livres! Et j’ai pense ґ ... Pas de lumie ` re: C’est mieux!.. Les mots me manquent... Le tramway, son ombre voit bien que, Sur le divan, avec toi — ce n’est pas moi! Mes poe`mes, eґcrits si to ? t, — je ne savais Me ? me pas — moi — que j’eґtais poe`te, — Venus, comme l’eau de la fontaine, D’un coup, comme les eґclats d’une fuseґe. Petits diables jaillis d’un seul coup, Dans le sanctuaire ou` tout est re ? ve, encens, Mes poe`mes, la jeunesse et la mort, — Ces poe`mes qu’on n’a pas lus! — Disperseґs dans la poussie`re des librairies (Ou` personne ne les prenait, ou` personne Ne les prend!) — mes poe`mes seront Comme des vins preґcieux: leur tour viendra. Je ne reґfleґchis pas. Je ne me plains pas. Je ne discute pas. Je ne dors pas. Je n’ai de gou ? t ni Pour le soleil, ni Pour la lune, ni pour la mer, Ni pour le bateau. Je ne sens pas la chaleur entre ces murs, Ni la fra?cheur du jardin. Je n’attends pas le cadeau attendu, Depuis longtemps deґsireґ. Le matin ne me pla?t pas; ni La marche rythmeґe du tramway. Je ne vois pas le jour. J’oublie La date. J’oublie le sie`cle. La corde s’effiloche, semble-t-il, Et moi, je ne suis qu’un petit funambule, Et moi, ombre de l’ombre d’un autre. Somnambule aux deux lunes sombres.

Grand-mere

L’ovale seґve`re et allongeґ, La robe noire eґvaseґe... Jeune Grand-me`re! De qui, les baisers Sur vos le`vres arrogantes? Les mains jouaient des valses De Chopin, dans les salles du palais... Les boucles en spirales Entouraient le visage de glace. Le regard sombre, tendu, exigeant, Un regard sur la deґfensive. De jeunes femmes n’ont pas ce regard-la`. Jeune grand-me`re, qui e ? tes-vous? Jeune polonaise de vingt ans! — Combien de choses reґaliseґes Avez-vous emporteґes et combien d’impossibles Dans le gouffre inassouvi de la terre? Le vent eґtait frais, le jour innocent, Les eґtoiles noires venaient de s’eґteindre. — Grand-me`re! — Cette violente reґvolte Dans mon c?ur — est-ce de vous que je la tiens? Je veux le demander au miroir: Ou` donc tout n’est-il que brouillard, Sommeil brumeux — Ou` votre chemin, Ou` votre refuge? Je vois: les ma?ts d’un bateau, Et vous sur le pont... Vous — Dans la fumeґe des trains... Des champs Pris dans la plainte du soir. Les champs le soir sous la roseґe, Et au-dessus — des corbeaux... — Je vous beґnis et vous laisse Libre comme l’air.
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